Le projet de loi constitutionnelle annoncé par François Hollande comprendra bien la possibilité de déchoir de leur nationalité des binationaux nés français. Une mesure prônée depuis longtemps par le Front national, et que le PS avait toujours combattue.
Le 16 novembre, devant le Congrès à Versailles,
François Hollande avait été très clair. « Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité
française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la
Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien “même
s’il est né français”, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité. »
Mais très vite, ses proches et des ministres s’étaient empressés de déminer. Ils avaient fait comprendre qu’il s’agissait d’abord d’un coup tactique pour piéger la droite sur son propre terrain. Ils répétaient qu’en réalité, François Hollande y était opposé. Ils pensaient que le Conseil d’État sollicité rejetterait cette mesure que tout le PS qualifiait en 2010 d’« atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation », lorsque Nicolas Sarkozy l’avait envisagée – il avait dû renoncer face à l’opposition des centristes et d’une partie de l’UMP (lire ici et là les articles alors publiés par Carine Fouteau).
Comme François Hollande l'avait annoncé devant le Congrès, l'autre article de la loi présentée prévoit de faire entrer l'état d'urgence dans la Constitution. « Une garantie forte que ce régime civil de temps de crise ne pourra pas être révisé de manière inadéquate », selon le gouvernement. C'était en effet une recommandation du Conseil d'État. Le gouvernement a par ailleurs annoncé de nouvelles mesures « contre le crime organisé », permettant hors d'état urgence de légaliser ou rendre plus courantes des perquisitions de nuit, l'utilisation de valises-espions pour aspirer les communications électroniques dans un périmètre défini, etc.
Pendant la campagne des régionales, à part ceux qui n’ont pas grand-chose à à perdre, comme les frondeurs Barbara Romagnan ou Pouria Amirshahi, les socialistes opposés à la mesure s’étaient bien gardés de critiquer trop fort : il fallait conserver le plus de régions possible et ne pas afficher de divisions avec l’exécutif. Mais depuis une semaine, beaucoup ont commencé à s’exprimer. Sur Mediapart, cinq députées PS ont par exemple dénoncé une mesure « inefficace », « contraire au (…) droit », qui « mettrait à mal notre cohésion nationale ». « Si l’exécutif la maintenait, il aurait pris le risque d’une fracture irréversible », a lancé le frondeur Pascal Cherki. L'écologiste Cécile Duflot avait aussi mis en garde : si la mesure est présentée en conseil des ministres, ce serait « plus qu’une ligne rouge, une faute ».
Mais en réalité, peu nombreux étaient ceux qui pensaient que l’exécutif irait jusqu’au bout. Au lendemain des régionales, Manuel Valls lui-même n’avait pas caché ses doutes à plusieurs journalistes reçus à Matignon. « La déchéance de nationalité n'est pas une arme contre le terrorisme, leur avait-il dit. On l'a prise parce que c'était une proposition de la droite. (…) Je ne suis pas gêné par cette proposition même si j'en vois les limites. C'est le président de la République qui a mis cela dans son discours. »
Mais très vite, ses proches et des ministres s’étaient empressés de déminer. Ils avaient fait comprendre qu’il s’agissait d’abord d’un coup tactique pour piéger la droite sur son propre terrain. Ils répétaient qu’en réalité, François Hollande y était opposé. Ils pensaient que le Conseil d’État sollicité rejetterait cette mesure que tout le PS qualifiait en 2010 d’« atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation », lorsque Nicolas Sarkozy l’avait envisagée – il avait dû renoncer face à l’opposition des centristes et d’une partie de l’UMP (lire ici et là les articles alors publiés par Carine Fouteau).
Comme François Hollande l'avait annoncé devant le Congrès, l'autre article de la loi présentée prévoit de faire entrer l'état d'urgence dans la Constitution. « Une garantie forte que ce régime civil de temps de crise ne pourra pas être révisé de manière inadéquate », selon le gouvernement. C'était en effet une recommandation du Conseil d'État. Le gouvernement a par ailleurs annoncé de nouvelles mesures « contre le crime organisé », permettant hors d'état urgence de légaliser ou rendre plus courantes des perquisitions de nuit, l'utilisation de valises-espions pour aspirer les communications électroniques dans un périmètre défini, etc.
Pendant la campagne des régionales, à part ceux qui n’ont pas grand-chose à à perdre, comme les frondeurs Barbara Romagnan ou Pouria Amirshahi, les socialistes opposés à la mesure s’étaient bien gardés de critiquer trop fort : il fallait conserver le plus de régions possible et ne pas afficher de divisions avec l’exécutif. Mais depuis une semaine, beaucoup ont commencé à s’exprimer. Sur Mediapart, cinq députées PS ont par exemple dénoncé une mesure « inefficace », « contraire au (…) droit », qui « mettrait à mal notre cohésion nationale ». « Si l’exécutif la maintenait, il aurait pris le risque d’une fracture irréversible », a lancé le frondeur Pascal Cherki. L'écologiste Cécile Duflot avait aussi mis en garde : si la mesure est présentée en conseil des ministres, ce serait « plus qu’une ligne rouge, une faute ».
Mais en réalité, peu nombreux étaient ceux qui pensaient que l’exécutif irait jusqu’au bout. Au lendemain des régionales, Manuel Valls lui-même n’avait pas caché ses doutes à plusieurs journalistes reçus à Matignon. « La déchéance de nationalité n'est pas une arme contre le terrorisme, leur avait-il dit. On l'a prise parce que c'était une proposition de la droite. (…) Je ne suis pas gêné par cette proposition même si j'en vois les limites. C'est le président de la République qui a mis cela dans son discours. »
Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait laissé écrire qu’il y était opposé. Et à l’abri du off, entre la poire et le fromage de déjeuners informels, des ministres de premier plan rencontrés n’avaient ces derniers jours pas de mots assez durs pour cette disposition. « Mon problème n’est pas que les gens qui commettent des actes terroristes soient déchus de leur nationalité française. Mon problème, c’est que le symbole vient accréditer un discours d’une violence sociale extrême », nous disait l’un d’entre eux. « Au moment de la décision, on était dans un contexte particulier ; on venait de donner l’assaut au Bataclan et il fallait donner des gages à l’unité nationale, expliquait une autre. Mais sur le fond, cela me bouleverse. Il ne peut pas y avoir deux catégories de citoyens. J’aurais préféré une peine d’indignité nationale. »
Lundi soir, Libération annonce que la mesure est abandonnée par l’Élysée. Plusieurs médias affirment que le chef de l’État a changé d’avis après avoir rencontré l’historien Patrick Weil, pour qui cette mesure « revient à distinguer deux catégories de Français : ceux qui n’ont pas d’autre nationalité que la française et les autres ». Ce soir-là, le PS est soulagé. « L’Élysée a pris conscience du schisme que cela créerait non seulement au sein du PS mais dans la gauche tout entière », se félicite alors l’ancien ministre Benoît Hamon. « Remonter la pente des valeurs d'égalité des citoyens de toutes origines, mononationaux ou binationaux, sera long, mais cela commençait par l'abandon de ce projet inique. C'est chose faite », commente Pouria Amirshahi.
Mardi matin, la numéro trois du gouvernement Ségolène Royal continue de plaider pour la constitutionalisation de la déchéance de nationalité. Mais au même moment, la garde des Sceaux Christiane Taubira, en déplacement à Alger, l’enterre sans fleurs ni couronnes. « C'est un sujet qui va s'éteindre. (…) Le projet de révision constitutionnelle qui sera présenté en conseil des ministres mercredi ne retient pas cette disposition », lance-t-elle sur les ondes de la radio algérienne Chaîne 3.
On croit la mesure définitivement retoquée. Illico, la droite crie d'ailleurs à la trahison. « François Hollande a menti », accuse le député LR (ex-UMP) Éric Ciotti. Guillaume Larrivé, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, dénonce un président de la République qui « a fait semblant de parler à la droite mais cède à la gauche de la gauche ». L’Élysée se terrera dans le silence jusqu’à mercredi matin, où François Hollande annonce sa décision en conseil des ministres.
Et depuis ? La gauche de la gauche n'a pas de mots assez durs. Mais sur les réseaux sociaux, les élus socialistes sont encore peu nombreux à s’exprimer (lire par ailleurs notre article de réactions). Ils préfèrent, disent-ils, laisser passer les fêtes. « On verra à la rentrée, la bataille ne fait que commencer », affirme un proche de Martine Aubry. Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis avait critiqué une proposition qui n’est « pas une idée de gauche » et « posait un problème » ? Mercredi, à l’issue du conseil des ministres, le parti a publié un communiqué lénifiant où il reprend au mot près les éléments de langage du gouvernement.
Il faut dire que pour le PS, la pilule est particulièrement amère. En 2010, alors que Nicolas Sarkozy envisageait de retirer la nationalité française à « toute personne d'origine étrangère portant atteinte à un représentant de l'autorité publique », le PS était unanime pour critiquer cette mesure. François Hollande, Manuel Valls, Claude Bartolone, Bertrand Delanoë et plusieurs actuels ministres avaient alors signé une tribune indignée. La relire aujourd’hui est assez vertigineux. « Pour la première fois au plus haut de niveau de l’État, il aura été publiquement affirmé qu’il existe des “Français de souche” et des “Français de papier”, comme le clame le Front national depuis sa création et au risque de crédibiliser ce dernier, écrivaient alors les signataires. Sous le faux prétexte d’assurer la sécurité des Français, le pouvoir tend en fait à imposer une idée aussi simple que malhonnête : les problèmes de notre société seraient le fait des étrangers et des Français d’origine étrangère. (…) Pour nous, la Nation, ce n’est pas la recherche frénétique de la mise au ban de citoyens. C’est tout au contraire l’affirmation de la légitimité de tous à participer en pleine égalité aux choix publics. Pour nous, la Nation, ce n’est pas l’utilisation des étrangers comme boucs émissaires afin de masquer le marasme économique et social de notre pays. C’est tout au contraire l’attachement à un traitement digne et égal de tous. »
(Manuel Valls évoquait alors un débat « nauséabond et absurde », comme d'autres poids lourds du PS devenus ministres depuis : Valls 2010)
Cinq ans plus tard, les mêmes annoncent donc ce qu’ils refusaient farouchement hier. Déjà, le Front national annonce bruyamment qu’il votera avec grand plaisir cette réforme constitutionnelle, qui signe, selon son numéro deux Florian Philippot, sa « victoire idéologique ». Et c’est Jacques Toubon, le Défenseur des droits, ancien faucon du RPR tendance dure, qui donne une leçon de République au gouvernement. « Si la déchéance de nationalité devait être votée, on passerait d’une République indivisible à une République divisible. » Exactement ce que le PS a toujours dit, et ce que son ancien premier secrétaire devenu président de la République renie désormais de façon spectaculaire.
23 décembre 2015 | Par Mathieu Magnaudeix et Dan Israel
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