jeudi 6 octobre 2011

Eduardo Galeano Haïti: pays occupé


Javier Jaen Haïti ocupada.





Consultez n'importe quelle encyclopédie, demandez quel a été le premier pays libre d'Amérique, vous aurez toujours la même réponse:Les Etats Unis. Mais les Etats Unis ont déclaré leur indépendance quand ils étaient une nation ayant 650.000 esclaves, qui ont continué à être esclaves pendant un siècle, et dans leur première constitution ils ont inscrit qu'un noir était l'équivalent des trois cinquièmes d'une personne.
Et si à n'importe quelle encyclopédie vous demandez quel a été le premier pays à abolir l'esclavage, vous aurez toujours la même réponse: L'Angleterre. Mais ce n'est pas L'Angleterre le premier pays a avoir aboli l'esclavage mais Haïti, qui continue toujours d'expier le péché de sa dignité.
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Les noirs esclaves d'Haïti ont renversé l'armée glorieuse de Napoléon Bonaparte et L 'Europe n'a jamais pardonné cette humiliation. Haïti a payé à la France, pendant un siècle et demi, une indemnisation gigantasque, pour être coupable de sa liberté,mais même cela n'a pas suffi. Cette insolence noire continue de faire souffrir les maitres blancs du monde.
Nous savons peu ou rien de tout cela.
Haïti est un pays invisible.
Il a été quelque peu célèbre lors du tremblement de terre de 2010 qui a tué plus de 200.000 haïtiens. La tragédie a fait que le pays soit en première page des médias un court moment.
On ne connait pas HaÏti pour le talent de ses artistes, magiciens de la ferraille, capables de convertir les ordures en beauté, ni pour ses exploits historiques dans la guerre contre l'esclavage et l'oppression coloniale.
Cela vaut la peine de le répéter encore une fois, pour que les sourds entendent: Haïti a été le pays fondateur de l'indépendance de l' Amérique et le premier a renversé l'esclavage dans le monde. Il mérite beaucoup plus que la notoriété due à ses malheurs.
Actuellement, les armées de différents pays, y compris le mien(Uruguay) continuent d'occuper Haïti.
Comment justifier cette invasion militaire?
Et bien en disant qu' Haïti met en danger la sécurité internationale.
Rien de nouveau. Tout au long du XIX siècle, l'exemple d'Haïti a constitué une menace pour la sécurité des pays qui continuaient à pratiquer l'esclavage. Thomas Jefferson l'avait bien dit:la peste de la rébellion venait d'Haïti.En Caroline du Sud, par exemple, la loi permettait d'enfermer n'importe quel marin noir, pendant que son bateau était dans le port, parce qu'il pouvait propager la peste antiesclavagiste. Et au Brésil, cette peste s'appelait haitianismo.
Déjà au XX siècle, Haïti a été envahi par les Marines US, parce que ce n'était pas un pays sûr pour ses créanciers étrangers.
Les envahisseurs ont commencé par s'emparer des douanes et ils ont livré la banque nationale à la City bank de New-York.Et puisqu'ils y étaient, ils y restèrent 19 ans.Le passage de la frontière entre la République Dominicaine et HaÏti s'appelle le mauvais passage.Peut-être que ce nom est un signal d'alarme: vous entrez dans le monde noir, la magie noire, la sorcellerie...
Le vaudou, la religion que les esclaves ont amené d' Afrique et qu'ils ont naturalisé à Haïti, ne mérite pas de s'appeler religion. Du point de vue des proprietaires de la Civilisation, le vaudou est une affaire de noirs, d'ignorance, de retard et de pure superstition. L'église catholique, où des fidèles capables de vendre des ongles de saints et des plumes de l'archange Gabriel ne manquent pas,a réussi à faire que cette superstition soit officiellement interdite en 1845,1860,1896,1915 et 1942. Mais depuis déjà quelques années, les sectes évangéliques se chargent de la guerre contre la superstition à Haïti. Ces sectes viennent des Etats-Unis, un pays qui n'a pas de treizième étage dans ses immeubles, ni de treizième rangée dans ses avions, habité par des chrétiens civilisés qui croient que Dieu à crée le monde en une semaine.
Dans ce pays, le prédicateur évangélique Pat Robertson a expliqué à la télévision le tremblement de terre de 2010. Ce pasteur des âmes a révélé que les noirs haïtiens avaient conquis l'indépendance à la France a partir d'une cérémonie vaudou, invoquant l'aide du diable depuis les profundeurs de la forêt haitienne. Le diable qui leur a donné la liberté, leur a envoyé le tremblement de terre en règlement de compte.
Les soldats étrangers resteront jusqu'à quand à Haïti? Ils sont venus pour stabiliser et aider, mais cela fait sept ans qu'ils n'aident pas et qu'ils déstabilisent ce pays qui n'en veut pas. L'occupation militaire d'Haiti coute aux Nations Unis plus de 800 millions de dollards par an. Si les Nations Unis destinait ces fonds à la coopération technique et à la solidarité sociale, cela provoquerait un réel développement de l'énergie créatrice d'Haïti et ainsi elle se dégagerait de ses sauveteurs armés, qui ont une certaine tendance à violer, tuer et offrir des maladies fatales.
Haïti n'a nul besoin que quelqu'un vienne multiplier ses calamités.Il n'a pas non plus besoin de la charité de quiconque.Comme le dit si bien un vieux proverbe africain: la main qui donne est toujours au dessus de la main qui reçoit.



Mais bien sûr qu'Haïti a besoin de solidarité, de médecins, d'écoles, d'hopitaux et d'une collaboration véritable qui rende possible la renaissance de sa souveraineté alimentaire, assassinée par le Fonds Monétaire internationale, la Banque Mondiale et autre sociétés philantropiques.
Pour nous, Latinoaméricains, cette solidarité est un devoir de gratitude: c'est la meilleure manière de dire merci à cette petite grande nation qui en 1804 nous a ouvert, avec son exemple contagieux, les portes de la liberté.
Cet article est dédié à Guillermo Chifflet, qui a été obligé de renoncer à la Chambre des Députés car il avait voté contre l'envoi de soldats uruguayens à Haiti.
Eduardo Galeano:Ecrivain et journaliste uruguayen, auteur de 'les veines ouvertes de l'Amérique latine'
Traduction de Dominique Guérandel 'un article de:público






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