vendredi 4 juillet 2008

Liberté, combat moyenâgeux et bipartisme

Ingrid Bettancourt est libre, le soulagement est immense. Nous y prenons toute notre part, non parce qu’elle est Française, mais parce que notre choix est d’être en toutes circonstances du côté de la liberté, de la vie, et de la justice.

Une phrase du commentaire de Nicolas Sarkozy mérite qu’on s’y arrête un instant.

« Les FARC doivent cesser ce combat moyenâgeux ». Au fond, de quel combat et de quel moyen âge parle t il ?

Il est incontestable que les FARC, comme d’autres mouvements de guérillas, sont aujourd’hui dans une dérive idéologique et stratégique qui est le lot de tout mouvement qui s’isole trop longtemps dans un maquis coupé du reste du pays.

Il est incontestable que ça les conduits à des actions qu’on ne peut approuver.

Il n’est pas moins incontestable que les FARC sont nées au début des années 50 dans un contexte de violence dont ils n’étaient pas les premiers auteurs et d’une injustice sociale difficilement imaginable ici (où pourtant nous avons aussi quelques aperçus) d’un pays où les plus grandes et les plus malhonnêtes fortunes côtoient les plus grandes misères. Qu’est ce qui est moyenâgeux ? Ce combat ou les enfants des rues de Bogota, montrés dans de nombreux documentaires dont la situation ne s’est nullement améliorée depuis[1] ?

Il n’est pas moins incontestable que, en 1982, les FARC ont conclu, avec le gouvernement de l’époque, un accord de paix aux termes duquel ils déposèrent les armes pour créer un parti de Gauche légal : l’Union Patriotique dont quasiment tous les responsables, y compris à un petit niveau, ont été abattus, dont aucun candidat n’est arrivé vivant à l’élection présidentielle (Jaime Pardo Leal : assassiné, Bernardo Jaramillo : assassiné, Carlos Pizzaro, du M19, un autre mouvement issu de la guérilla : assassiné ; le sénateur manuel Cepeda : assassiné, L’élue de Bogota, Aïda Abella échappe par miracle à une tentative d’assassinat et s’exile)[2]. Pratiques moyenâgeuses ? Mais ce n’est pas de celles là dont parle Nicolas Sarkozy. Alors oui, les survivants sont retournés à la guérilla.

Il n’est pas moins incontestable que, dans les 20 dernières années, les groupes paramilitaires fascistes ont écumé la Colombie en quasi toute impunité puisqu’ils étaient les protégés de « l’armée de la nation » que vient de vanter le Président Uribe, qui a, dès son arrivée, décrété une amnistie générale pour les crimes des paramilitaires et concentré sa politique contre les FARC. Les escadrons de la mort, pratique moyenâgeuse ? Mais ce n’est pas de celles là que parle Nicolas Sarkozy.

Cela n’excuse en rien certaines pratiques actuelles des FARC, à l’égard, en outre, d’une militante anticorruption et pour les droits de l’homme. Mais regardons bien où sont les plus grandes séquelles du moyen âge et méfions nous de ceux qui utilisent la « forme » pour tenter de discréditer un « fond » de combat et d’en masquer un autre d’injustices et de misères.

Enfin, il convient de faire, à propos de la Colombie, une observation qui mérite réflexion : de 1962 à 1978, un accord officiel entre deux partis représentant deux nuances de l’oligarchie (libéral et conservateur) a défini un système de répartition du pouvoir très original : une alternance un mandat sur 2 à la présidence et une répartition 50/50 des postes de ministres. Le faux bipartisme (ça ne vous rappelle rien ?) dans sa forme la plus achevée… avec criminalisation des formes d’oppositions alors appelées "extrémismes" et donc, comme seul espace possible de contestation…la violence.

Ça c’est pas moyenâgeux…Ça c’est moderne !

Marc Delgrange


[1] On peut voir aussi deux films qui rendent compte admirablement du quotidien des enfants de Colombie : la petite marchande de roses et la vierge des tueurs de Barbet Schroeder

[2] On me pardonnera cette énumération mais, en dehors du premier cité, ce sont des militant(e)s soit que j’ai connus personnellement, soit dont j’ai connu la famille…après.



Brigade anti- vieux 2