Analyse de la Gauche Unitaire sur la réforme des retraites le 16 juin:
Le ministre du travail Eric Woerth qui a dévoilé ce matin, après les « arbitrages » présidentiels, les grandes lignes du projet de contre-réforme des retraites était tout à fait conscient d’entrer dans le dur d’une séquence politique décisive. Il a annoncé que « personne ne pourra faire croire que c’est un recul social ». L’analyse de son projet montre pourtant exactement le contraire. Le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans (et par extension de l’âge légal pour avoir droit à une retraite à taux plein sans décote, même sans avoir cotisé le nombre d’années nécessaires, de 65 à 67 ans) comme la confirmation de l’allongement de la durée de cotisation, constituent en effet une régression sociale majeure.
Le droit de partir à la retraite à 60 ans constitue un des éléments décisifs (avec la journée de 8 heures, les congés payés…) des conquêtes sociales gagnées par le mouvement ouvrier en France et un progrès humain essentiel, rendu possible par la hausse de la productivité du travail. La tendance à la baisse du temps de travail est une évolution historique majeure. Elle est, ni plus ni moins, qu’un élément de la redistribution d’une partie de l’accumulation des gains de productivité du travail. C’est contre ce progrès que les libéraux mènent l’offensive. Pour eux, « travailler plus », c’est « travailler sans limite » pour accroître les profits au maximum et donc ponctionner au maximum sur les salaires.
L’affirmation que la retraite à 60 ans, comme la droite le répète depuis des semaines, ne serait plus qu’un « dogme » dépassé et archaïque témoigne du caractère profondément idéologique d’une élite politico-financière qui, pour son propre profit, ne supporte plus les droits arrachés par les mobilisations du monde du travail, et qui cherche à limiter à son strict minimum la redistribution vers le plus grand nombre des richesses produites.
L’allongement de la durée de cotisation a déjà pour effet de baisser le niveau des pensions. Le recul de l’âge légal à 62 ans aggraverait considérablement la baisse du niveau de vie des futurs retraités.
Aujourd’hui, déjà une grande partie des salariés est contrainte de partir avant 60 ans dans des dispositifs de préretraites, ou dans la majorité des cas passe par la « case chômage » avant de pouvoir prétendre à la retraite. Le gouvernement, qui n’en est pas à une pirouette près, prétend renforcer les incitations à l’emploi des seniors (en accordant au passage de nouvelles aides financières aux entreprises…) mais il se base par ailleurs sur des projections économiques qui anticipent un maintien à un niveau élevé du chômage autours de 7% : cherchez l’erreur !
Et Woerth donne un exemple, pour qui n’aurait pas bien saisi le sens politique de cette contre-forme. La pénibilité sera reconnue dès lors que les salariés souffrent « d’un affaiblissement physique avéré au moment du départ en retraite pour bénéficier du dispositif retraite pour pénibilité », et d’ajouter que n’est pas prévu de reconnaissance de cette pénibilité « pour des salariés dont la santé n’est pas altérée, mais risquerait de l’être plus tard ». En d’autres termes, ce qu’on reconnait pour les salariés c’est le sacrifice au travail, et pour les patrons c’est implicitement la possibilité de sacrifier les salariés au travail. Bonne conscience oblige, la volonté sine die de renforcer la prévention des situations de pénibilité est affichée !
La droite sait que faire passer une telle contre-réforme implique certaines remises en cause, notamment du bouclier fiscal pour donner un « habillage équitable ». Mais les quelques mesures mises en avant sont particulièrement dérisoires. Hausse indolore d’un point de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu et quelques menus prélèvements sur le capital… Un prélèvement sur les dividendes est censé rapporter 645 millions d’euros par an (soit moins de 2% des 35 milliards d’euros de dividendes distribués en 2009 par les entreprises du CAC 40). Les retraites chapeaux seront amputées de 110 millions d’euros (mais Sarkozy n’avait il pas promis d’en finir avec ce « scandale » ?). Quant aux stock options, ce sont seulement 70 millions d’euros qui leur seront prélevés… Il ne fallait pas se donner tant de mal !
Le gros des ressources « nouvelles » seront constituées par l’annulation d’allègements de cotisations patronales pour un montant de deux milliards, en fait donc par un rétablissement du salaire déjà dû. Notons au passage que l’effet de cette mesure n’affectera que peu la masse salariale versée par les employeurs les plus importants, à commencer par ceux du CAC 40. Cet aspect de la contre-réforme a été calibré pour qu’il n’y ait surtout aucun effet sur les profits.
Cela passera également par une brutale remise en cause du pouvoir d’achat des fonctionnaires. L’alignement (par le bas) du taux des cotisations du public sur le privé qui passera de 7,85 à 10,55 entraînera une baisse du traitement net des fonctionnaires. En fait, ce sont autant d’économies sur le budget de l’État et des collectivités territoriales. En tout, ce sont plus de 4 milliards d’euros de pouvoir d’achat des salariés du public qui seront ponctionnés.
La comparaison entre les 645 millions d’euros prélevés aux actionnaires et les 4 milliards prélevés aux fonctionnaires illustre bien les priorités de ce gouvernement.
Eric Woerth a présenté son projet comme s’il n’y avait pas d’autre politique possible, comme si les choix du gouvernement et Nicolas Sarkozy étaient une fatalité. Il n’a cessé de répéter que tous les autres pays européens faisaient la même chose. Ce n’est pas une grande découverte que les politiques menées en Europe depuis 20 ans ont été mises en œuvre au détriment des salariés et au profit de la finance. Ces politiques sont celles qui, précisément, nourrissent la crise économique mondiale que nous connaissons aujourd’hui ! Et dans la plupart des pays d’Europe, au Portugal, en Grèce, en Espagne, les salariés, les organisations syndicales se battent pied à pied pour empêcher ces régressions sociales.
C’est la bataille qui est devant nous dans les prochaines semaines, à commencer par la journée nationale d’action interprofessionnelle unitaire du 24 juin prochain. Rien n’est écrit d’avance. Il faut faire entendre dans le pays les exigences citoyennes sur les retraites et bloquer le gouvernement par un mouvement d’ensemble. Toute la gauche politique et sociale doit faire front pour mettre en échec cette contre-réforme. Pour assurer pour toutes et tous la retraite à laquelle chacun et chacune peut légitimement prétendre, il est également nécessaire qu’une alternative de rupture soit majoritaire à gauche pour imposer une autre répartition des richesses, juste et équitable celle-ci. Il y a urgence !
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