Alors que l’Europe se trouve dans la tourmente de la crise financière, le discours de Sarkozy sur la moralisation du capitalisme vise à défendre bec et ongles le système. Décryptage et conséquences d’un discours démagogique et libéral.
Depuis que Nicolas Sarkozy a prononcé son discours le 26 septembre à Toulon dans lequel il fustige les excès du capitalisme et réclame les têtes des responsables de la crise, éditorialistes et commentateurs s’interrogent. Le président de la République serait-il de gauche ? Comme un symbole de la crise politique qui se greffe sur la crise économique. Les déclarations des ténors socialistes donnent en effet une légitimité à cette question incongrue.
Pour trouver la réponse, il suffirait pourtant de demander au chef de l’État s’il reviendra sur l’article 56 du nouveau traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, son fameux traité simplifié, qui indique que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites » ? S’il est prêt à jeter aux orties le dogme de la « concurrence libre et non faussée » ? S’il va enfin décider d’annuler le bouclier fiscal qui protège les plus riches ?
La réponse est évidente : il ne fera rien de tout cela.
Nicolas Sarkozy agit en bon camelot lorsqu’il affirme qu’il faut organiser une réunion européenne afin d’engager la « moralisation » du capitalisme et la « refondation du système financier international ». Supprimez les excès, moralisez et vous obtiendrez un bon capitalisme. C’est la fable à laquelle on tente de nous faire croire, Nicolas Sarkozy en tête. Comme si le capitalisme était victime d’« excès immoraux ». Car la crise du capitalisme n’est pas une crise morale. La cause de la crise n’est pas dans les excès du système mais dans le cœur même du système. Quand Nicolas Sarkozy parle de « punir », qui veut-il punir ? Banquiers, traders n’ont jamais été hors la loi, ils ont simplement fait ce qu’il leur était permis de faire. C’est au nom de la « réforme » et de la « modernisation », au nom de l’Europe qu’a été mise en œuvre la stratégie des trois « D » : « déréglementer, déréguler, désétatiser ». Et cela, Nicolas Sarkozy ne propose pas de l’arrêter un instant. Il veut exactement l’inverse en expliquant que la crise ne doit pas ralentir le rythme des « réformes » mais au contraire l’accélérer. Suppressions de postes de fonctionnaires, baisses des impôts et des cotisations patronales, baisse de la rémunération du travail…
Preuve que les discours sur la « moralisation » du système, sa régulation ou sa refondation ne sont que des leurres agités pour détourner l’attention et faire en sorte que Français et Européens ne se posent pas la question centrale : quel autre système à la place de ce capitalisme qui privatise les richesses et socialise les pertes ?
Une question toujours plus d’actualité, d’autant que, effet domino oblige, la crise s’accélère. Après les banques américaines, ce sont les dominos européens qui commencent à chuter. D’autant plus vite que le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars (500 milliards d’euros) prévu par le gouvernement Bush pour renflouer les banques américaines, en rachetant leurs crédits pourris, a été rejeté par les orthodoxes libéraux du Congrès américain. Conséquences : vent de panique sur les places boursières qui dévissent. Pour les seules journées du lundi 29 et du mardi 30 septembre, les États européens ont remis près de 60 milliards d’euros dans la machine infernale pour éviter des faillites. Les gouvernements de Belgique, Pays-Bas et Luxembourg ont annoncé la nationalisation du bancassureur Fortis, en y injectant un total de 11,2 milliards d’euros. Outre-Manche, la banque britannique Bradford & Bingley (B & B) est nationalisée et ses meilleurs actifs ont été transférés au groupe espagnol Santander. Le Trésor du Royaume-Uni conserve quant à lui la partie la plus risquée de Bradford & Bingley, qui comprend notamment 41 milliards de livres (51 milliards d’euros) de crédits immobiliers. En Allemagne, c’est la banque Hypo Real Estate qui est menacée de faillite. À Paris, la valeur du titre de la banque Dexia s’est effondrée jusqu’à – 31,58 %. Et ce sont 6,4 milliards d’euros qui sont partis la renflouer, 3 milliards d’euros côté belge, 3 autres milliards par le gouvernement français et la Caisse des dépôts et consignations et 376 millions pour le gouvernement luxembourgeois. De son côté, le gouvernement islandais a volé au secours de la troisième banque du pays, Glitnir, qu’il a nationalisée à 75 % pour 600 millions d’euros. Même la BCE a remis la main à la poche pour soutenir le marché monétaire en mettant 120 milliards d’euros à la disposition des établissements. Nicolas Sarkozy, qui préside l’Union européenne, « appuie sans réserve ces initiatives » des États « pour assurer la sécurité et la stabilité du système financier dans leurs pays et donc en Europe ». Aux États, donc aux citoyens, les actifs, les titres et les crédits pourris. Quant aux banques les plus solides, elles en profitent pour mettre la main sur ce qui est sain, renforçant leurs positions dans la grande partie de Monopoly financier qui accompagne la crise. Une logique qu’un courtier de Wall Street a malicieusement baptisée « le socialisme pour les riches ».
Stéphane Sahuc Humanité-Dimanche du 2 Octobre
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