Refus d’appliquer les programmes, occupations d’établissement, cybermanifestations… De plus en plus d’enseignants diversifient leurs formes de lutte.
« En toute conscience professionnelle, nous refusons d’obéir ! » Depuis quelques jours, les inspections académiques sont de plus en plus nombreuses à - recevoir de telles missives. Leurs auteurs ? Des enseignants. Parfois à bout, toujours en colère, ils ont décidé de prendre la plume pour informer très officiellement leur hiérarchie de leur intention de ne plus appliquer les réformes de Xavier Darcos dans le primaire. Quitte à être convoqués solennellement - ils le sont systématiquement. Quitte à risquer le blâme, la sanction financière, voire la révocation…
Cet acte ultime de « désobéissance pédagogique » témoigne, évidemment, du malaise profond qui grandit dans le monde éducatif. Mais aussi, alors qu’une nouvelle journée de mobilisation se déroule aujourd’hui, du besoin urgent, pour de nombreux enseignants, de multiplier les formes de contestation. Histoire de protéger une école publique plus que jamais menacée par les mesures gouvernementales.
Du courrier pour Xavier Darcos
La première lettre de « désobéissance » remonte au 6 novembre. Elle est signée d’André Refalo, professeur des écoles à Colomiers (Haute-Garonne). Dans son long courrier expédié à son inspecteur de circonscription, il fustige les nouveaux programmes, l’instauration d’une « instruction morale et civique » ou encore l’aide personnalisée. « C’est parce que je ne pourrais plus concilier - liberté pédagogique, plaisir d’enseigner et esprit de responsabilité qu’il est de mon devoir de refuser d’appliquer ces mesures que je dénonce », écrit l’enseignant.
Un courrier limpide et - cinglant. Qui lui vaudra, le 10 novembre, une convocation à l’inspection de circonscription, ainsi qu’une enquête administrative comprenant des visites dans sa classe. Mais aussi un vaste soutien du monde enseignant. De fait, l’initiative va rapidement faire des émules (lire notre portrait page 3).
Le 3 décembre, le site Internet Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école (1) lançait un « appel à résistance ». Il recense actuellement une douzaine de lettres individuelles de désobéissance, ainsi que plusieurs courriers collectifs : trente-cinq enseignants en Vendée, quinze en Isère… Le 5 décembre, ils étaient carrément 124 à déposer leur missive à l’inspection académique des Bouches-du-Rhône ! Dans l’Hérault, une intersyndicale réunissant les principales organisations enseignantes a même élaboré un courrier de désobéissance « type ». Et prévoit de faire un dépôt collectif le 17 décembre à l’inspection académique…
« Xavier Darcos paie là le prix de son arrogance et de son autisme », fait remarquer Thierry, enseignant dans le Val-de-Marne. Le 20 novembre, malgré 220 000 manifestants dans les rues, le ministre de l’Éducation s’était encore permis de brocarder des syndicats « démodés » et des slogans « déjà entendus trente fois ». Loin d’étouffer les protestations, cet autisme grinçant n’a fait que renforcer la rancoeur. « Avec ce gouvernement, la grève, qui nous coûte cher en plus, ne suffit pas, résume encore Thierry. Alors beaucoup cherchent d’autres formes de contestation. »
Des luttes complémentaires
Il y a donc ces lettres de désobéissance. Mais aussi, depuis plusieurs semaines, une multitude d’initiatives originales. Sur Internet, un réseau social est ainsi dédié à l’organisation d’une « cybermanifestation ». À Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), le lycée est, cette fois, occupé quotidiennement en soirée (lire notre reportage page 4). Les enseignants y organisent des débats sur les dangers de la réforme des lycées avec les parents d’élèves. Une démarche que d’autres établissements ont reprise à leur compte, dans la foulée d’initiatives plus vaste, comme « la veillée des écoles », qui a rassemblé, le 4 décembre, plus de 170 établissements scolaires de la région PACA.
S’ils ne les encouragent pas directement au niveau national, les syndicats ne voient pas ces initiatives d’un mauvais oeil. À commencer par ces lettres de désobéissance. « On ne donne pas de mot d’ordre en ce sens, mais on comprend les personnes qui font ça, assure Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Et nous nous opposerons à toute poursuite à leur égard. » À ses yeux, ces actions, parfois individuelles, ne sont pas un désaveu des mobilisations plus traditionnelles, comme les grèves. « Cela ne nuit pas (aux formes classique) de la contestation, au contraire, ça les complète et les renforce ! » Bref, la résistance pédagogique a de beaux jours devant elle.
(1)http://resistancepedagogique.blog4ever.com.
Laurent Mouloud ( Site de l'Humanité)
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