Il y a environ un mois, autour d’un stand que je tenais, au nom du « Collectif Villeneuvois pour une alternative Antilibérale à Gauche » dans le cadre d’une initiative de commémoration de Mai 68, j’ai eu l’occasion de discuter avec une militante des UEC qui passait. Dans leur grande majorité, les étudiants communistes – ils ont raison – sont plus passionnés par l’action revendicative (en ce moment contre la loi Pecresse mais aussi contre d’autres mesure régressives du gouvernement) que par les débats stratégiques du Parti. A l’évidence, - elle le disait elle-même - sa réflexion sur le sujet venait surtout de ce qu’elle entendait dans sa cellule. Elle était curieuse de la démarche de notre collectif. Au moment de s’éloigner elle conclut, dans un esprit manifestement absolument pas polémique, par « en tous cas, moi, je ne peux pas être d’accord avec les liquidateurs ».
Cet échange m’a beaucoup marqué. J’avais devant moi une militante tout à fait ouverte, mais qui m’avait ainsi révélée comment, dans certaines (beaucoup ?) cellules (particulièrement dans le Nord ?), on caractérisait les réflexions stratégiques du Parti : une offensive de liquidateurs. Ce comportement n’est pas nouveau mais je le croyais passé. Cette présentation binaire de l’ange et de la bête justifie, bien sûr, tous les « états de siège intellectuels », toutes les mobilisations générales, et donc toutes les fermetures.
Bien sûr, on pourrait répondre qu’il n’y aura jamais de pire liquidateurs que ceux qui, en combinant fermeture dans les débats et compromission dans les comportements, ont fait passer notre Parti, en une génération qui se trouve être la mienne, de plus de 20% à moins de 2%. Mais je n’ai pas eu cette envie de réplique, trop symétrique, trop facile car, a mon tour, si j’avais dit ça, j’aurais injustement sali nombre de militants que j’admire. Après m’être contenté d’un souriant et sincère « moi non plus je ne suis pas pour liquider le Parti », j’ai laissé s’éloigner ma non moins souriante et sincère interlocutrice.
Ce qui m’est venu un peu après, en faisant sans doute un inconscient lien avec Mai 68, qui était le prétexte du moment, c’est un passage du cultissimme (comme on dit maintenant) documentaire de Chris Marker « Le fond de l’air est rouge ». J’ai revisionné le DVD, et retrouvé de passage montrant, au début des années 70, une lutte, des échanges sectaires entre apparatchiks syndicaux, et conclu par une voix off assez lasse :
« Ainsi, nous en étions là : une action n’était jamais jugée selon l’écho qu’elle rencontrait parmi les travailleurs, mais selon l’étiquette de celui qui l’a lancée. Si les gauchistes étaient à l’origine, c’était une « provocation », la CFDT : une « aventure », la CGT : une « capitulation ». Il y avait autant de répertoires de mots imbéciles (gaucho, réviso) pour noyer la complexité des conflits dans une espèce de système binaire où chacun ne se définissait plus par rapport à la lutte de classe, mais à la guerre des organisations, ce qui, du moment qu’on attribuait à une organisation le monopole de la représentation de la classe, ne faisait évidemment plus aucune différence. Comme s’il fallait attendre le moment où on se trouverait cote à cote sur les banquettes d’un stade bouclé par les militaires pour s’apercevoir qu’on avait quand même quelque chose à se dire. Comme si les frontières des organisations et des groupuscules séparaient des peuplades étrangères instinctivement hostiles. On jouait ainsi à opposer les Grandins aux Joint Français, les Lip aux Rateau. C’était moins évident à la base. »
Ainsi nous en sommes encore là ? Quelle tristesse.
Marc DELGRANGE
0 Comments:
Enregistrer un commentaire